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Non, le papier n’est pas encore mort

À l’ère du tout numérique, l’industrie papetière ne semblait guère avoir d’avenir. Mais elle retrouve un nouveau souffle grâce au carton, indispensable au commerce en ligne, analyse ce site espagnol de tendance libérale conservatrice.

Le mois de janvier a marqué un tournant historique dans les kiosques espagnols. Pour la première fois en quarante-cinq ans, il était impossible de trouver le nouveau numéro de l’hebdomadaire satirique El Jueves. “La revue qui paraît le mercredi” [bien qu’elle se nomme “Le Jeudi”] avait cessé de le faire : ses responsables ont annoncé qu’elle devenait mensuelle. La raison ? Quelque chose d’aussi simple que le prix du papier.

Le coût de ce matériau et de ses dérivés a tellement augmenté qu’il a fini par étouffer certains journaux.

Depuis la  pandémie, et encore plus depuis le début de la guerre en Ukraine , tout ce qui est lié au secteur du papier “est devenu fou”, à en croire diverses sources consultées par El Confidencial. Dans une économie mondialisée qui dépend de tant d’acteurs, la chaîne d’approvisionnement a d’abord été touchée par les fermetures d’entreprises et les confinements. Plus récemment, la hausse des prix de l’énergie a achevé de tout faire voler en éclats. Un an après le début du conflit, les experts sont divisés : les uns prédisent un retour à la normale, les autres annoncent des lendemains douloureux.

Mort annoncée

“La guerre a été dévastatrice pour le secteur, explique Melchor Torres, directeur d’Atlantic Distribution, une société spécialisée dans la vente de papier en gros dont le siège est à Tenerife [aux Canaries]. En Europe, après toutes les complications liées à la pandémie, nous nous sommes recentrés sur les producteurs locaux, même s’ils étaient un peu plus chers. Mais l’augmentation des prix de l’énergie a été le coup de grâce.”

En trente ans de carrière, il n’avait jamais connu pareille situation. “De plus, c’est un marché où il y a de moins en moins de demande à cause du numérique. Et ces derniers mois, beaucoup d’entreprises ont dû acheter le papier à prix variable, ce qui ne s’était jamais produit auparavant. Vous achetez le papier, et quand il arrive, le prix a déjà augmenté trois fois. Impossible de faire autrement.” Sa société vendait la tonne de papier 900 euros, elle dépasse maintenant 2 000 euros.

Jusqu’à il y a quelques années, on annonçait la mort du papier. Le passage au numérique était en marche, et tout laissait à penser qu’il serait moins utilisé. À en croire les chiffres, c’est en partie vrai. Mais les derniers soubresauts ont montré que le marché était loin d’être mort. Si l’on ajoute à cela la concentration de la production, on commence à comprendre ce à quoi on assiste aujourd’hui.

Tandis que certains sombrent ou résistent tant bien que mal, des entreprises tirent leur épingle du jeu. Ainsi Ence, société papetière galicienne, a déjà vendu toute sa production de l’année 2023. Par ailleurs, son usine de Pontevedra était menacée de fermeture, mais, à la suite d’un jugement, elle a pu rester ouverte. Quant à l’américain International Paper, le plus grand papetier de la planète, fondé il y a cent vingt-cinq ans, il a réalisé [au quatrième trimestre] l’un des meilleurs résultats parmi les entreprises composant l’indice boursier S & P 500.
Spirale instable

Le plus curieux est que cette multinationale n’est pas la seule à faire des bénéfices record. Plusieurs sociétés suédoises et finlandaises du secteur ont elles aussi engrangé de gros bénéfices en profitant des hausses de prix liées au renchérissement de l’énergie, sans compter que les répercussions du Covid-19 ont été moins fortes que prévu.

“Il faut comprendre que l’industrie papetière opère sur un marché mondialisé, qu’elle nécessite des matières premières, des processus de transformation complexes. En outre, elle consomme beaucoup de ressources, elle se classe au cinquième rang pour la consommation énergétique, précise Paco Lorente,  professeur à l’Esic Business School [en Espagne]. On comprend qu’elle vive des moments de crise après tout ce qui s’est passé.”

“De plus, le passage au numérique devait réduire fortement la taille de ce secteur, et ç’a été partiellement le cas, de nombreuses usines ayant fermé. Mais les ventes de carton se sont envolées grâce à l’essor du commerce électronique. Aujourd’hui, ce matériau est utilisé pour tout, ce qui a pris un peu le secteur au dépourvu.”

Pour Paco Lorente, le papier se trouve pris dans une spirale difficile à stabiliser. “Les coûts de fabrication montent, donc le prix départ usine [avant transport] monte, souligne-t-il. En outre, comme il y a moins de producteurs, la demande, qui s’est accrue avec la pandémie, se concentre. Le maillon suivant de la chaîne supporte lui aussi une hausse des coûts, à laquelle s’ajoute le prix plus élevé de la matière première, et tout se répercute à chaque étape, jusqu’à l’utilisateur final. À mesure qu’on avance dans la chaîne, l’acheteur suivant n’a pas forcément assez d’argent pour faire face à ces augmentations, alors il réduit sa consommation, ce qui atteint en retour toute la chaîne, et je crois que maintenant le secteur va être confronté à ce problème.”

Plus de journaux, plus de billets

Parmi ceux qui commencent à subir le contrecoup de la hausse, outre El Jueves, citons les journaux en Estonie,  qui, depuis [le 16 janvier], ne paraissent plus en version papier
, ou les imprimeries qui fabriquent les billets de banque, comme le nouveau site d’Imbisa (l’entreprise chargée de les imprimer en Espagne), qui restera fermé faute d’approvisionnements. Il y a aussi l’administration [espagnole], à l’approche des élections [prévues en mai et en décembre] : les premiers contrats sur l’achat et l’impression des bulletins font déjà apparaître l’augmentation des prix.

L’Asie est au cœur du système. Pour s’en convaincre, il faut savoir comment celui-ci fonctionne. Tout commence par la cellulose, produite sur toute la planète à l’aide des troncs de qualité moindre, ceux qui ne servent pas à l’industrie du bois. Les principaux centres de production de la cellulose se trouvent en Chine, aux États-Unis, au Brésil et en Russie. Dans ce dernier pays, en raison de la guerre, de nombreuses entreprises occidentales ont dû vendre leurs usines. L’Europe joue un rôle important, avec de grandes entreprises en Finlande ou en Suède, mais comme l’explique Melchor Torres, le marché asiatique est la clé de l’ajustement des prix, en raison des volumes qu’il peut mobiliser.

    “Depuis la pandémie, la production asiatique n’est guère sortie de la région. Et ce qui était exporté était très cher en raison du prix du fret, qui dans notre secteur est primordial.”

Mais aujourd’hui, les exportations ont repris. Les tarifs du fret ayant beaucoup baissé, des entreprises comme Atlantic Distribution connaissent un répit, même si elles sont confrontées à une autre situation compliquée. “Des produits bien plus compétitifs commencent à être importés d’Asie ou du Brésil, ce qui va commencer à faire baisser le prix du papier, explique Melchor Torres. Mais cela peut aussi avoir des conséquences néfastes sur notre système.”
Chômage partiel

Tant à l’étape de la distribution qu’aux suivantes, il existe de nombreuses entreprises qui se sont approvisionnées tant bien que mal en 2022, à des prix très élevés, et qui aujourd’hui connaissent de nouvelles difficultés : si le prix du papier baisse de manière brusque, elles devront vendre leurs stocks à perte, à supposer qu’elles arrivent à les écouler.

D’autres secteurs qui ont surmonté la crise du Covid-19 connaissent les mêmes problèmes. Ainsi, le transport de marchandises ou les hautes technologies s’en étaient bien sortis, mais sont aujourd’hui sur une très mauvaise pente. En quelques mois, après avoir engrangé d’importants bénéfices et envisagé un avenir prometteur, ils sont entrés dans une période où l’économie est en berne et où la surproduction menace, ce qui pourrait les obliger à licencier.
Des médias américains comme Bloomberg alertent sur la chute de la consommation de carton aux États-Unis et sur ses éventuelles conséquences pour l’économie en général.

En Espagne, la société Torraspapel a commencé à recourir au chômage partiel dans nombre de ses usines afin de compenser le tassement de la demande. “L’idée est d’écouler tout le stock et d’attendre que le marché se stabilise, commente Melchor Torres. Pour cela, il faut mettre au chômage partiel une bonne partie des salariés, réduire la production, et quand la situation reviendra à la normale, les remettre au travail.”

Malgré l’ajustement actuel, Melchor Torres et Paco Lorente en sont convaincus : le carton est promis à un bel avenir. L’industrie papetière se prépare à accroître considérablement la production de ce matériau, de plus en plus présent dans notre quotidien. “De nombreuses usines européennes ont déjà centré presque toute leur production sur ce type de produit et elles abandonnent définitivement le papier graphique”, assure Melchor Torres.

Carton en ligne

C’est également l’avis de Manuel Fernández, PDG de Defesa, une société espagnole spécialisée dans le traitement des déchets. “On assiste à une baisse notable de la collecte de certaines qualités de papier (papiers blancs et graphiques), et à une légère hausse dans les cartons et leurs dérivés”, explique-t-il. Certes, tout dépend du commerce, principalement électronique :

    “Les achats en ligne ont entraîné une progression de la collecte de carton, essentiellement à travers le tri sélectif municipal. Si les achats sur Internet augmentent, la collecte augmentera.”

Malgré cette évolution du secteur, un autre problème se profile à l’horizon, notamment au
Canada. Canfor, l’une des principales entreprises papetières de Colombie-Britannique, a réduit la production de l’une de ses usines, ce qui a donné lieu à un grand débat national.

La raison de cette fermeture ? L’entreprise parle d’un manque de matière première pour la cellulose. Mais, selon les spécialistes, l’explication est encore plus simple : la région se retrouve sans forêts. Cette déforestation vient s’ajouter aux destructions d’emplois observées ces dernières décennies. Dans ce contexte, la province et le pays débattent sur ce qu’il faudra faire à l’avenir. La transition du plastique au carton semblait résoudre un problème, mais elle a fini par en engendrer d’autres.